Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/444

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les entreprendre, les livres me manquaient : Je n’avais sauvé de tous les miens qu’environ cent cinquante volumes de ces petites éditions des classiques, que je portais avec moi ; tous les autres avaient été perdus à Paris, et j’aurais été fort embarrassé de les redemander à qui que ce fût, ce que je fis cependant une fois en 1795, mais par forme de plaisanterie. En m’adressant à un Italien de ma connaissance qui était allé à Paris pour ses affaires, je lui envoyai une epigramme où je redemandais mes livres. On trouvera l’épigramme, la réponse, et mon dernier reçu dans une longue note que j’ai placée à la fin du second morceau en prose du Misogallo. Pour ce qui était de composer, je ne m’en sentais plus la force. J’avais bien le plan de cinq autres tramélogédies, sœurs de l’Abel, mais les angoisses passées ou même présentes de mon âme avaient éteint chez moi la juvénile ardeur de la faculté créatrice ; mon imagination s’était affaiblie, et la verve précieuse des dernières années de la jeunesse s’était émoussée, je dois le dire, dans le chagrin et le travail ingrat des impressions où, pendant cinq ans, mon esprit avait été enseveli. Il me fallut donc renoncer à mon dessein, ne me trouvant plus ce qu’un genre si extraordinaire eût demandé de fougue et d’énergie. En abandonnant cette idée, qui pourtant m’avait été si chère, je me retournai vers les satires, dont je n’avais encore fait que la première, qui servit de prologue aux autres. Je m’étais assez exercé à la satire dans les divers fragmens du Misogallo, pour ne pas désespérer