Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/500

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laissé de ramener une sorte de tranquillité en Italie, et le despotisme français ayant aboli le papier-monnaie tant à Rome que dans le Piémont, revenant, mon amie et moi, du papier à l’or, que nous tirions, elle de Rome, moi du Piémont, nous nous vîmes en un instant à peu près hors de l’embarras que nous avions éprouvé dans nos intérêts depuis cinq années, chaque jour prenant quelque chose sur ce qui nous restait. Aussi, vers la fin de 1801, nous rachetâmes des chevaux, mais quatre seulement, dont un de selle pour moi. Depuis Paris, je n’avais pas eu de cheval, et pas d’autre équipage qu’une méchante voiture de louage. Mais les années, les malheurs publics, tant d’exemples d’un sort pire que le nôtre, m’avaient rendu discret et modéré. Ainsi ces quatre chevaux étaient alors du luxe pour quelqu’un qui, pendant bien des années, s’était à peine contenté de dix et de quinze.

Du reste passablement rassasié et désabusé des choses du monde, sobre dans mon régime, toujours vêtu de noir, ne dépensant qu’en livres, je me trouve fort riche, et je me fais gloire de mourir d’une bonne moitié plus pauvre que je ne suis né. Aussi ne pris-je pas garde à l’offre que mon neveu C... me fit faire par ma sœur de s’employer à Paris , où il allait se fixer, pour me faire rendre ce que l’on m’avait confisqué en France, mes revenus, mes livres et le reste. Je ne redemande jamais rien aux gens qui m’ont volé, et d’une tyrannie ridicule où justice rendue passe pour faveur, je ne veux ni l’une ni l’autre. C... n’a pas même eu de