nous est resté avec la vive image de sa grande âme, profondément empreinte à chaque page de ses œuvres. C’est ce qui doit encore affaiblir nos regrets, s’il n’a pu achever cette histoire de sa vie, dont la seconde partie n’est qu’une première esquisse écrite à la hâte, chargée de notes et de renvois ; d’où il suit qu’il est assez mal aisé d’y mettre chaque chose en son lieu et de la lire couramment.
Toutefois, il ne faut pas craindre que l’on veuille chercher le mot pour rire au style du comte Alfieri. Si j’ai hasardé ici une manière d’apologie, ce n’est pas la diction, c’est le fond des choses qui semblerait en avoir besoin. Alfieri, dans ses mémoires, s’est montré tel qu’il était ; et pour peu que l’on n’apporte à cette lecture aucune passion envieuse, on n’en rapportera jamais qu’une idée vraie de l’auteur. Mais en plus d’un endroit, l’âpreté dédaigneuse du ton pourra blesser quelques esprits. Si ce dédain ne se sentait dans aucun autre ouvrage d’Alfieri, il suffirait, comme je l’ai dit, et c’est ce que vous faites, madame la comtesse, de ne communiquer qu’à des amis sûrs ce manuscrit de ses mémoires. Mais puisque les sentimens qui sont de nature à lui aliéner beaucoup de gens ont déjà été remarqués de tout le monde dans les ouvrages qu’il a publiés, comme d’ailleurs l’éclat de sa gloire suffirait au besoin pour le rendre en butte au fiel amer de l’envie, et que ces papiers enfin, si bien gardés qu’on les suppose, peuvent tomber en des mains peu bienveillantes, il ne sera pas mal de répandre ici à l’avance un peu de contre-poison.