Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/52

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Virgile, tandis que j’avais beaucoup de mal quand je pouvais arriver à quatre cents, ce qui me faisait grand’peine. Autant que je puis me rappeler aujourd’hui quels étaient alors les mouvemens de mon ame dans ces batailles d’enfant, il me semble que je n’avais pas un trop méchant caractère. Il est bien vrai qu’en me voyant battu par ces deux cents vers de surplus, je me sentais étouffer par la colère, et que souvent il m’arrivait de fondre en larmes, quelquefois même de m’emporter en injures furieuses contre mon rival ; mais soit qu’il valût mieux que moi, ou que moi-même je m’apaisasse, je ne sais comment, quoique nos forces fussent à peu près égales, nous ne nous querellions presque jamais, et, en somme, il y avait presque de l’amitié entre nous. Je crois que ma furibonde ambition d’enfant se trouvait satisfaite et consolée de cette infériorité de mémoire par le prix de thème qui me revenait presque toujours. Ajoutez que je ne pouvais haïr ce jeune homme, parce qu’il était d’une beauté rare, et, sans que ma pensée allât plus loin, je me suis toujours senti une vive inclination pour la beauté, dans les animaux, dans les hommes, en toute chose ; à telles enseignes que la beauté dans mon esprit offusque un temps la raison, et souvent me déguise la vérité.

Pendant toute cette année des humanités, mes mœurs se conservèrent encore innocentes et parfaitement pures. La nature seule venait parfois, d’elle-même et à mon insu, y jeter quelque trouble.