Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/55

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gement et l’insuffisance de la nourriture, le désordre dans le régime, le défaut de sommeil, le peu de soins, toutes choses contraires au système suivi pendant mes neuf premières années dans la maison de ma mère. Je ne grandissais aucunement, et je ne ressemblais pas mal à une petite bougie toute mince, toute pâle. Plusieurs maladies m’assaillirent l’une après l’autre ; l’une, entre autres, pour commencer, fit crevasser ma tête en plus de vingt endroits. Il en sortait une humeur visqueuse et fétide, précédée d’un si grand mal de tête, que mes tempes en devenaient toutes noires, et que la peau brûlée, pour ainsi dire, venant à s’écailler plusieurs fois, à diverses reprises, se renouvela entièrement sur les tempes et sur le front. Mon oncle paternel, le chevalier Pellegrino Alfieri, avait été nommé gouverneur de la ville de Coni, où il résidait au moins huit mois de l’année. Il ne me restait donc à Turin d’autres parens que ceux de ma mère, la famille Tournon, et un cousin de mon père, mon demi-oncle, le comte Bénédict Alfieri. Ce dernier était premier architecte du roi, et il habitait une maison contiguë à ce même Théâtre-Royal qu’il avait conçu et fait exécuter avec tant d’art et d’élégance. J’allais quelquefois dîner chez lui, ou lui faire de simples visites, selon le bon plaisir de cet André, qui me gouvernait despotiquement et qui avait toujours à m’alléguer des ordres ou des lettres de mon oncle de Coni.

Ce comte Bénédict était vraiment un digne homme, et d’un cœur excellent ; il m’aimait et me