Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/56

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caressait beaucoup. Il avait le fanatisme de son art : très-simple de caractère, et à peu près étranger à tout ce qui n’avait point rapport aux beaux-arts. Parmi beaucoup d’autres preuves que je pourrais donner de sa passion démesurée pour l’architecture, il me parlait fort souvent et avec enthousiasme, à moi petit garçon, qui ne comprenais absolument rien aux arts, du divin Michel-Ange Buonarotti, qu’il ne nommait jamais sans incliner la tête, ou sans ôter son bonnet, avec un respect et une humilité qui ne sortiront jamais de ma mémoire. Il avait passé à Rome une grande partie de sa vie ; il était plein du beau antique ; ce qui ne l’empêcha pas dans la suite de déroger parfois au bon goût pour se conformer aux modernes. Je n’en veux d’autre témoignage que sa bizarre église de Carignan, en manière d’éventail. Mais ces petites taches, ne les a-t-il pas amplement effacées par le théâtre dont j’ai parlé plus haut, la voûte savante et hardie qui surmonte le manège du roi, la grande salle des Stupinigi, la solide et majestueuse façade du temple de Saint-Pierre à Genève ? Il ne manquait peut-être à ce génie architectonique qu’une bourse mieux remplie que n’était celle du roi de Sardaigne. Ce qui le prouve, c’est le grand nombre de dessins magnifiques qu’il a laissés en mourant, et sur lesquels le roi mit la main. Il y avait là beaucoup de projets, et les plus variés, pour les embellissemens à faire dans Turin, et, entre autres, pour la reconstruction de l’abominable muraille qui sépare la place du château