Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de celle du palais royal, muraille qu’on a nommée, je ne sais pourquoi, le Pavillon.

Je m’étends ici avec complaisance sur la mémoire de ce bon oncle, qui avait bien son mérite, et aujourd’hui seulement j’en connais tout le prix. Lorsque j’étais à l’Académie, quoiqu’il eût pour moi beaucoup de tendresse, je le trouvais, à tout prendre, plus ennuyeux que divertissant ; et voyez, je vous prie, ce travers de jugement et la force des fausses maximes ! ce qui chez lui m’offusquait davantage, c’était son bienheureux parler toscan, que depuis son séjour à Rome jamais il n’avait voulu quitter, quoique, à Turin, ville amphibie, la langue italienne fût véritablement un idiome de contrebande. Telle est cependant la puissance du beau et du vrai, que les mêmes gens qui, dans le principe, au retour de mon oncle, se moquaient des habitudes de son langage, finissaient par s’apercevoir que lui seul en réalité parlait une langue, pendant qu’ils ne faisaient eux, que balbutier un jargon barbare. Chaque fois qu’ils s’entretenaient avec lui, ils essayaient aussi de bégayer leur toscan, surtout cette foule de seigneurs qui voulaient quelque peu raccommoder leurs maisons et leur donner un air de palais : travaux futiles, dans lesquels cet excellent homme perdait la moitié de son temps sans intérêt, par pure amitié, et pour complaire aux autres, je le lui ai bien souvent entendu dire, se faisant déplaisir à lui-même et à l’art. Que de gens à Turin, et des plus considérables, dont les maisons par lui embellies ou augmentées de vestibules,