Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/67

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le temps de cette visite, qui durait une heure et davantage, à pleurer avec ma sœur à la grille du parloir. Ces pleurs me faisaient un grand bien, et chaque fois je m’en retournais plus léger de cœur, quoique triste encore. Moi, en ma qualité de philosophe, je donnais du courage à ma sœur, et l’exhortais à persister dans son choix ; elle ne pouvait manquer d’arracher enfin l’aveu de mon oncle, celui de tous qui opposait à ses désirs le plus de résistance. Mais le temps, qui agit si puissamment même sur les cœurs les plus fermes, ne tarda pas beaucoup à changer complètement celui d’une jeune fille, et l’éloignement, les obstacles, les distractions, et, plus que le reste, une éducation bien supérieure à celle qu’elle avait reçue de l’autre tante, guérirent ma sœur, et achevèrent de la consoler en quelques mois.

Pendant les vacances de l’année où je fis ma philosophie, j’allai pour la première fois au théâtre de Garignan, où se donnaient les opéras bouffons : faveur signalée que je dus à mon oncle l’architecte, qui voulut bien, cette nuit-là, me recevoir dans sa maison. Les heures de ce théâtre ne s’accordaient en aucune façon avec le règlement de l’Académie, qui voulait que chacun fût rentré au plus tard à minuit. On ne nous permettait d’ailleurs d’autre théâtre que celui du Roi, où nous allions en corps une fois la semaine, et seulement pendant le carnaval. L'Opéra que j’eus le bonheur d’entendre, par une charitable supercherie de mon Oncle, qui fit dire aux-supérieurs qu’il m’emmenait