les auspices d’une de nos tantes, veuve du marquis Trotti, qui s’y était retirée. Ma pauvre Julietta grandissait donc de son côté dans ce monastère d’Asti, où l’on s’occupait de son éducation un peu moins encore que de la mienne, grâce, à l’empire absolu qu’elle avait pris sur la bonne tante qui ne pouvait en jouir en aucune manière, l’aimant beaucoup et la gâtant plus encore. La jeune fille approchait de la quinzaine, étant mon aînée de deux ans. Cet âge, chez nous, n’est pas muet d’ordinaire, et déjà il parle assez haut d’amour au cœur tendre et fragile des jeunes filles. Une petite amourette de ma sœur, comme il peut en exister au couvent, quoiqu’elle eût pour objet une personne qui pouvait très-convenablement l’épouser, déplut à mon oncle, et le détermina à faire venir Julia près de lui, pour la confier à une tante maternelle, religieuse à Sainte-Croix. La vue de cette sœur que j’avais tant aimée, comme je l’ai dit, et qui n’avait fait que croître en beauté, me causa une vive joie, et, me ranimant le cœur et l’esprit, contribua fort aussi à rétablir ma santé. Et cette compagnie de ma sœur, ou, pour mieux dire, la faculté de la voir de temps en temps, m’était d’autant plus chère, qu’il me semblait que je la soulageais un peu dans ses peines d’amour. Quoique séparée de son amant, elle s’obstinait à dire qu’elle ne voulait pas d’autre époux. J’obtenais d’André, mon geôlier, la permission d’aller lui rendre visite presque tous les jeudis et les dimanches : c’étaient nos deux jours de congé. Et souvent il m’arrivait de passer tout
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