Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/80

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coup d’esprit, esprit trop souvent étouffé sous une érudition sans méthode, sans mesure, sans discrétion, et qui ne faisait grâce ni à l’histoire ancienne ni à la moderne. Je m’affligeai donc médiocrement de cette mort qui le frappait loin de mes yeux, que tous ses amis avaient prévue, qui d’ailleurs me mettait en pleine possession de ma liberté, et des revenus déjà suffisans de mon patrimoine, auxquels venait se joindre l’héritage de cet oncle qui n’était pas peu de chose. Les lois du Piémont délivrent à quatorze ans le pupille de son tuteur, et lui assignent seulement un curateur, qui, lui laissant la libre disposition de ses revenus annuels, ne peut légalement lui interdire que l’aliénation des immeubles. Maître de ma fortune à quatorze ans, cette situation nouvelle me fit porter la tête haute, et me lança vivement dans les espaces imaginaire. En même temps, un ordre de mon tuteur venait de m’ôter cet André, à demi domestique et précepteur à demi. C’était juste, car il était devenu ivrogne, libertin, querelleur, fort mauvais sujet, en un mot ; l’oisiveté l’avait perdu et aussi l’absence de toute surveillance. Il en avait toujours assez mal usé avec moi, et lorsqu’il était ivre, c’est-à-dire quatre ou cinq jours par semaine, il allait jusqu’à me battre, et ne me traitait jamais que fort durement. Pendant les nombreuses maladies que je fis, il se contentait de me donner à manger, puis il s’en allait, et me laissait enfermé dans ma chambre, quelquefois depuis le dîner jusqu’à l’heure du souper ; ce qui, plus que tout le reste, contribuait à éloigner ma