Aller au contenu

Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convalescence, et me plongeait plus avant dans cette horrible mélancolie qui était l’effet naturel de mon tempérament. Et cependant qui le croirait ? durant plusieurs semaines, la perte de cet André m’arracha des soupirs et des larmes, et, ne pouvant m’opposer à la volonté de mon curateur, qui avait bien ses raisons pour le congédier et l’ôter d’auprès de moi, je persistai du moins pendant plusieurs mois à l’aller voir tous les jeudis et tous les dimanches, parce qu’il lui était défendu de mettre le pied à l’Académie. Je me faisais conduire chez lui par le nouveau valet de chambre que l’on m’avait donné, homme épais, mais bon au demeurant, et d’un caractère fort doux. Je lui fournis même de l’argent pendant quelque temps, et lui donnai tout ce que j’avais, ce qui n’était pas beaucoup. Il finit cependant par trouver un autre maître, et le temps, d’autre part, m’ayant distrait de ma douleur sur le nouveau théâtre où me plaçait la mort de mon oncle, je n’y pensai plus. En essayant de m’en rendre compte à moi-même, ce que j’ai dû faire les années suivantes, j’ai trouvé le motif de cette affection déraisonnable pour un si triste sujet. Si je voulais me peindre en beau, je dirais qu’elle provenait sans doute chez moi d’une certaine générosité de caractère, mais telle n’était pas alors la raison véritable. Plus tard seulement, lorsque, à la lecture de Plutarque, je commençai à m’enflammer de l’amour de la gloire et de la vertu, j’appris à connaître, à sentir, à pratiquer selon mes forces l’art ineffable de rendre le bien pour le mal.