Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/89

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valurent des arrêts si prolongés, que j’y restai plus de trois mois, notamment tout le carnaval de 1764. Je m’opiniâtrai à ne pas vouloir demander qu’on me délivrât de mon châtiment. Dans ma rage et mon entêtement, j’aurais pu y pourrir, mais plier, non. Je dormais presque tout le jour ; vers le soir, je me levais, et j’allais m’étendre sur un matelas que je faisais apporter à terre devant la cheminée. Comme je ne voulais plus recevoir l’ordinaire de l’Académie qu’on me portait dans ma chambre, je m’apprêtais moi-même à mon feu un peu de polenta ou quelque aliment du même genre. Je ne me laissais plus peigner, je ne m’habillais plus, et vivais à l’écart comme un jeune sauvage. S’il m’était défendu de sortir de ma chambre, du moins je pouvais y recevoir les visites de mes amis du dehors, les fidèles compagnons de ces héroïques cavalcades. Mais alors, devenu sourd et muet, je restais là couché comme un corps sans vie, et ne répondais un mot à personne, quelque chose que l’on me dît. Je restais ainsi des heures entières, les yeux cloués à la terre, pleins de larmes, mais n’en laissant jamais échapper une seule.






CHAPITRE IX.

Mariage de ma sœur. — Ma réhabilitation. — Mon premier cheval.


Une circonstance vint m’arracher enfin à cette vie de véritable bête brûle, le mariage de ma sœur