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LIVRE II. — CHAPITRE III.

hommes ? Et s’il y a des rêves vrais, d’autres faux, à quel signe les distinguer ? Pourquoi les rêves sont-ils si obscurs ? Chrysippe[1] raconte qu’un homme vit en rêve un œuf suspendu aux sangles de son lit ; un devin lui dit qu’un trésor était caché sous son lit ; on creusa, on trouva le trésor, une bonne quantité d’or entouré d’argent. Mais d’autres n’ont-ils jamais rêvé d’un œuf ? Combien de pauvres gens, dignes de la protection des Dieux, que leurs avis n’ont jamais mis en possession d’un trésor ? Et pourquoi, au lieu de ce symbole bizarre, ne pas dire clairement qu’il y avait là un trésor ? Et enfin, quelle idée se fait-on des Dieux immortels ? Vont-ils visiter les lits, les grabats de tous les mortels, et tandis qu’ils ronflent, leur jeter des visions embrouillées, qu’à leur réveil ils vont, pleins d’épouvante, porter à des interprètes ? N’est-il pas plus simple et plus vrai de croire que l’âme garde la trace des impressions qu’elle a subies, et revoit en rêve les idées qui l’ont préoccupée pendant la veille ?

La divination, sous toutes ses formes, est donc illusoire. Il ne s’ensuit pas qu’il faille détruire la religion[2]. La religion ne peut que gagner à être débarrassée de toutes ces superstitions. Le sommeil est le refuge où nous nous reposons de toutes les fatigues et de tous les soucis ; c’est pourtant de lui que naissent les plus grandes inquiétudes et les plus grandes terreurs. On les dédaignerait, si les philosophes ne les avaient prises sous leur patronage ; il fallait bien leur dire leur fait et réduire à néant toutes ces subtilités et ces chimères, propres seulement à troubler les esprits.

À la question de la divination se lie étroitement celle du libre arbitre : Carnéade l’a traitée avec sa profondeur et sa pénétration habituelles ; il en a donné une solution hardie et originale.

Le problème se posait pour ses contemporains d’une manière bien curieuse. Deux propositions, deux axiomes, sur lesquels repo-

  1. De Divin., II, lxv, 134.
  2. lxxii, 148.