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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/166

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LIVRE II. — CHAPITRE III.

habituel acharnement, mais nous avons peu de renseignements sur le détail de cette polémique. Sur deux points seulement les textes nous permettent de nous faire une idée de sa critique.

La question du souverain bien, tel que le définissaient les stoïciens, attira son attention, et il poussa son attaque avec une telle vigueur qu'il força ses adversaires à reculer et à modifier leur théorie.

La vertu, disaient les stoïciens, est le seul bien ; le vice, le seul mal ; tout le reste est indifférent. Mais, d’autre part, la vertu consiste, suivant eux, à chercher ce qui est conforme à la nature. Comment tous ces avantages conformes à la nature, que le sage doit chercher, seraient-ils indifférents ? Ils ont par eux-mêmes une certaine valeur : ce sont des biens. La vertu n'est donc pas le seul bien. En deux mots, si le seul bien réside seulement dans la poursuite d’une chose, dans l’effort pour l’atteindre, il n’est pas besoin de parler de la nature et de ce qui lui est conforme ; surtout il ne faut pas appeler les biens naturels choses indifférentes. Si on tient compte de la nature et de ce qu’elle réclame, il ne faut pas faire consister le bien dans la seule intention, dans la seule vertu.

Les stoïciens essaient d’échapper à l’objection en distinguant parmi les choses indifférentes celles qui, sans être bonnes, se rapprochent davantage du bien (προηγμένα) et celles qui, sans être mauvaises, s’en éloignent (ἀποπροηγμένα). C’est, répond Carnéade[1], une manière détournée de revenir à ce qu’ont enseigné Platon, Aristote, toute l’ancienne Académie. De là, le reproche tant de fois adressé aux stoïciens d’innover dans les mots plutôt que dans les choses. Ils mettent en avant de grands mots et font les fiers ; mais ou bien ils se bornent à répéter sans franchise ce que d’autres ont dit avant eux, ou bien, si on les suit au pied de la lettre, ils se contredisent.

Cette difficile question (qui divise encore aujourd’hui les moralistes) paraît avoir été chaudement débattue entre Carnéade

  1. Cic., Fin., III, XII, 41 ; Tusc., V, 41.