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LIVRE III. — CHAPITRE III.

signes sensibles, croient aux signes indicatifs. Chose décisive : Sextus, dans la critique qu’il fait de la théorie des signes indicatifs[1] et où il suit presque certainement Ænésidème, semble oublier parfois sa propre distinction ; il cite comme exemple de signes indicatifs : si cette femme a du lait, elle a conçu. Or, c’est là évidemment un signe commémoratif. Dès lors, il est certain qu’au temps de l’écrivain dont s’inspire Sextus (et c’est Ænésidème) les signes de cet ordre étaient considérés comme indicatifs, ou plutôt simplement comme des signes. La définition du signe n’était pas tirée, comme elle le fut plus tard, du caractère de l’objet signifié (perceptible ou non), mais du lien qui unit le signe à la chose signifiée : entre le lait dans les mamelles et le fait d’avoir conçu, il y a un rapport nécessaire (ἀκολουθία, συνάρτησις). En d’autres termes, la distinction des signes indicatifs et commémoratifs n’est pas encore faite ; elle appartient à une école postérieure[2].


III. En morale, l’enseignement d’Ænésidème ne paraît pas avoir différé de celui de Pyrrhon et de Timon. À deux reprises[3], Ænésidème est nommé avec Timon comme ayant dit que l’ataraxie est le seul bien que nous puissions atteindre, et qu’elle résulte de ἐποχή. Nous voyons par le résumé de Photius qu’Ænésidème blâmait les académiciens d’avoir donné une définition du bien et du mal. Dans les trois derniers livres de son ouvrage il combattait la théorie morale des stoïciens sur les biens et les maux, et leur distinction entre les προηγμένα et les ἀποπροηγμένα ; il réfutait leur théorie de la vertu, soutenait aussi que le bien suprême n’est ni le bonheur, ni le plaisir, ni la sagesse, et finalement que le bien tant célébré par tous les philosophes n’existe en aucune manière[4].

  1. Voy. ci-dessous, liv. IV, ch. II.
  2. Avec Philippson (p. 66) nous l’attribuerions à l’école empirique, et plus particulièrement à Ménodote. (Voy. liv. IV, ch. I.)
  3. Diog., IX, 107. Aristoc. ap. Euseb., op. cit., XIV, xviii, 4.
  4. Cod., 212 : Ὁ δ’ ἐπὶ πᾶσι καὶ ή κατὰ τοῦ τέλους ἐνίσταται, μήτε τὴν εὐδαιμονίαν, μήτε τὴν ἡδονὴν, μήτε τὴν φρόνησιν, μήτε ἄλλο τι τέλος ἐπιχωρῶν εἶναι,