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ÆNÉSIDÈME. — HÉRACLITÉISME.

un mobile change de lieu, soit en entier, soit en partie : en entier, comme les êtres qui tournent ou qui se promènent ; en partie, comme la main qui s’étend ou se ferme, comme les parties d’une sphère qui tourne autour de son centre ; car, tandis que la sphère demeure au même endroit, les parties changent de place. »

Enfin Ænésidème a une opinion arrêtée sur la nature de l’âme. Il sait que la raison (διάνοια) n’est pas enfermée dans le corps : elle est en dehors[1]. D’ailleurs, elle ne se distingue pas des sens : elle aperçoit les choses au moyen des sens, comme à travers des ouvertures. Sans doute, il faut rapprocher cette doctrine de celle qui est ailleurs[2] attribuée à Héraclite par Sextus et suivant laquelle nous aspirons en quelque sorte la raison qui est répandue à travers le monde. Cette raison commune est le critérium de la vérité. Ainsi encore, d’après Ænésidème[3] c’est par l’aspiration de l’air chaud que l’enfant après sa naissance acquiert la force vitale.

C’est probablement à cette théorie qu’il faut rattacher l’opinion d’Ænésidème sur les notions communes. « Les partisans d’Ænésidème, dit Sextus, d’Héraclite et d’Épicure, ayant la

  1. Sext., M., VII, 349 : Οἱ δὲ εἶναι μὲν (τὴν διάνοιαν) ἔλεξαν, οῦκ ἐν τῷ αὐτῷ δὲ τόπῳ περιέχεσθαι, ἀλλ’ οἱ μὲν ἐκτὸς τοῦ σώματος, ὡς Αἰνησίδημος κατὰ Ἡράκλειτον. … 350 : οἱ δὲ αὐτὴν εἶναι τὰς αἰσθήσεις, καθάπερ διά τινων ὀπῶν τῶν αἰσθητηρίων προκύπτουσαν, ἧς στάσεως ἦρξε Στράτων τε ὁ φυσικὸς καὶ Αἰνησίδημος.
  2. M., VII, 129 : Τοῦτον δὲ τὸν θεῖον λόγον καθ’ Ἡράκλειτον δι’ ἀναπνοῆς σπάσαντες νοεροὶ γινόμεθα. Contre Hirzel, et avec Diels et Natorp (393), nous pensons que ce passage sur Héraclite est emprunté par Sextus à Ænésidème lui-même. Les raisons pour lesquelles Hirzel croit devoir attribuer tout le développement de Sextus (VII, 89-141) à un historien dogmatique, semblent bien conjecturales et subtiles : Natorp les a bien réfutées.
  3. Tertul., De anim., 25 : « Isti qui præsumunt non in utero concipi animam… sed effuso partu nondum vivo infanti extrinsecus imprimi, … (carnem) editam et de uteri fornace fumantem et calore solutam, ut ferrum ignitum, et ibidem frigide immersum, ita aeris rigore percussam et vim animalem rapere et vocalem sonum edere. Hoc stoici cum Ænesidemo. » On remarquera l’accord d’Ænésidème avec les stoïciens. Zeller signale en outre plusieurs points où le même accord se produit : l’air confondu avec le feu, le temps considéré comme l’essence des choses, l’emploi du mot οὐσία, etc. (p. 33).