Aller au contenu

Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
LIVRE III. — CHAPITRE IV.

même opinion sur les choses sensibles[1], diffèrent cependant comme les espèces d’un genre. Les partisans d’Ænésidème font une différence entre les phénomènes ; les uns apparaissent communément à tous les hommes, les autres en particulier à quelques-uns. Ceux qui apparaissent à tous de la même façon sont vrais ; ceux qui ne présentent pas ce caractère sont faux : d’après son étymologie, le mot vrai signifie ce qui n’échappe pas à l’opinion commune. »

Entre ces divers fragments, pouvons-nous découvrir un lien ?

Il semble bien que plusieurs au moins des propositions dogmatiques d’Ænésidème sont le développement de cette formule qui lui est commune avec Héraclite : dans la réalité, dans l’absolu, les contraires coexistent.

Dire que l’être est l’air, et qu’il est le temps, que le temps est un corps, identique lui-même à l’unité, c’est rapprocher et confondre des choses que le sens commun et les philosophes distinguent et opposent l’une à l’autre[2]. Ainsi encore la partie est identifiée au tout, et le tout à la partie, la parcelle à la partie et la partie à la parcelle. Peut-être Ænésidème n’a-t-il ramené toutes les espèces de mouvements à deux, que pour montrer ensuite que ces deux mouvements différents ou contraires sont identiques, et ne diffèrent pas du temps ou de l’être. Enfin la raison de l’homme est identifiée à la raison universelle, l’esprit à la matière, le contenu au contenant. Les sens et la raison, qu’on est habitué à distinguer, sont une seule et même chose[3].

Nous ne voyons pas, il est vrai, comment on peut rattacher à cette théorie métaphysique l’autre opinion dogmatique affirmée par Ænésidème : les phénomènes qui paraissent à tous de la même manière sont vrais. On est surpris de voir le sens commun devenir une règle de connaissance et un critérium de vérité dans

  1. M., VIII, 8.
  2. Nous voyons notamment (Sext., M., X, 227) que stoïciens et épicuriens s’accordaient à regarder le temps comme incorporel.
  3. Il est à remarquer qu’ici ce n’est pas d’Héraclite, mais de Straton le physicien que Sextus rapproche Ænésidème : ce qui semble témoigner de l’indépendance de sa pensée.