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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

subsiste pas. Ce n’est pas ce qui subsiste, car il n’y aurait pas de changement ; et ce n’est pas ce qui ne subsiste pas, car, ayant disparu, on ne peut dire qu’il ait changé. En outre, l’âme ne connaît jamais que la sensation, et non la cause qui la provoque : et à moins de dire que la cause et l’effet sont identiques, on ne pourra soutenir que la sensation soit la même chose que sa cause, et qu’elle se perçoive en même temps qu’elle.

Entre les diverses sensations, à moins de dire avec Protagoras qu’elles sont toutes vraies, il faut faire un choix. D’après quel principe ? Les académiciens et surtout Carnéade ont assez montré que ce choix est impossible, et qu’il n’y a point de différence spécifique entre la sensation compréhensive et les autres. La thèse des stoïciens sur ce point repose sur une pétition de principe[1]. Quand on leur demande ce qu’est la sensation compréhensive, ils disent que c’est une sensation gravée et imprimée dans l’âme par une chose réelle, de telle façon qu’une chose non réelle ne saurait en produire une pareille. Et quand on leur demande ce qu’est une chose réelle, ils répondent que c’est celle qui provoque une sensation compréhensive. Il faut connaître ce qui est pour distinguer une sensation compréhensive, et on ne connaît ce qui est que si on a distingué la sensation compréhensive.

Supposons pourtant qu’il y ait un critérium : il ne servira à rien, car il n’y a pas de vérité.

S’il y a quelque chose de vrai, c’est ce qui est apparent ou ce qui est caché. Mais ce n’est pas ce qui est apparent : car on voit apparaître dans le sommeil et la folie bien des choses qui ne sont pas. Et ce n’est pas ce qui est caché ; car des propositions contradictoires comme celles-ci : le nombre des étoiles est impair ; le nombre des étoiles est pair, également cachées, devraient être également vraies. Il ne faut pas dire non plus qu’on doit faire un choix entre les choses cachées et les choses apparentes ; car il n’y pas de critérium.

De plus, si quelque chose est vrai[2] tout est vrai ; car toute

  1. M., VII, 426.
  2. P., II, 86.