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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/352

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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

chose est quelque chose ; et ce qu’on peut affirmer du genre, on est en droit de l’affirmer de l’espèce. Et si tout est vrai, rien ne sera faux, pas même cette proposition que rien n’est vrai. Pour les mêmes raisons, si quelque chose est faux, tout est faux, y compris cette proposition qu’il y a de la vérité. Et si quelque chose est à la fois vrai et faux, les conséquences sont encore plus absurdes ; car de toutes choses il faudra dire qu’elles sont à la fois vraies et fausses, et qu’elles ne sont ni vraies, ni fausses.

De même, le vrai n’est ni absolu, car s’il ne dépendait pas de nos dispositions particulières, tous les hommes le connaîtraient tel qu’il est et il n’y aurait pas de désaccord entre eux ; ni relatif, car un rapport n’existant que dans l’intelligence qui le perçoit, le vrai ne serait que dans notre esprit, non dans la réalité.

Et Ænésidème a prouvé[1] que le vrai n’est ni sensible, ni intelligible, ni tous les deux à la fois, ni aucun des deux.

À défaut d’une vérité que l’esprit puisse apercevoir directement et sûrement, y a-t-il quelque chose qu’il puisse atteindre indirectement ? C’est à cette question que répond l’argumentation contre les signes et contre la démonstration.

Parmi les choses obscures, c’est-à-dire que l’esprit n’aperçoit pas du premier regard, il en est qui nous sont pour toujours inaccessibles (καθάπαξ ἄδηλα)[2] ; par exemple, j’ignore si le nombre des étoiles est pair ou impair, et combien il y a de grains de sable dans les déserts de la Lybie. Laissons de côté ces sortes de questions.

Il est d’autres choses, actuellement obscures, mais qui ne le sont pas absolument. Je ne vois pas Athènes en ce moment, mais je puis la connaître : il y a des choses momentanément cachées (πρὸς καιρὸν ἄδηλα). Je n’aperçois pas les pores de la peau, ni le vide, s’il existe : il y a des choses cachées par nature (φύσει ἄδηλα) : je puis pourtant les connaître par le raisonnement. Ce qu’on sait de ces choses cachées, on l’apprend par les

  1. Voy. ci-dessus, p. 263.
  2. M. VIII, 145 et seq. ; P., II, 97 et seq.