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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/372

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LIVRE IV. — CHAPITRE III.

(τέχνη) qu’il proscrit ; et s’il recommande d’apprendre les arts[1], il a démontré ailleurs fort savamment qu’il est impossible de rien apprendre. Mais il se tire d’affaire par une distinction. L’art qu’il admet est purement empirique, affranchi de tout principe général : c’est une routine. Platon, dans le Gorgias, oppose à peu près de la même manière la routine à la science.

Lorsqu’il passe en revue toutes les sciences connues de son temps pour en montrer le néant, Sextus a soin de nous prévenir que ses coups ne visent pas certaines pratiques qui n’ont de la science que l’apparence, et sont uniquement fondées sur l’expérience et l’observation. Autre chose est, par exemple, cette partie de la grammaire qu’on apprend aux enfants, qui leur fait connaître les éléments du discours, les lettres et leurs combinaisons, et qui est l’art de lire et d’écrire ; autre chose cette science prétentieuse qui veut connaître la nature même des lettres et leur origine, qui distingue les voyelles et les consonnes et se perd dans une foule de distinctions subtiles[2]. Contre la première il n’a rien à dire ; tout le monde convient qu’elle est utile à tous, au savant comme à l’ignorant. De même que la médecine, elle a un grand mérite : elle donne un remède contre l’oubli, et le sceptique lui sait un gré infini de lui permettre de sauver et de transmettre à la postérité ses arguments contre l’autre grammaire.

De même, s’il n’a que sévérité et ironie pour la rhétorique prétentieuse des savants, il n’attaque pas la connaissance des mots ni le bon usage de la langue. Seulement il estime que l’habitude et l’éducation libérale suffisent à les faire connaître[3], et il préfère le langage simple et familier des ignorants aux beaux discours des rhéteurs. Ainsi encore il ne blâme pas l’usage des nombres[4], mais seulement la science arithmétique, et il ne confond pas l’astronomie mathématique, et surtout l’astrologie

  1. P., I, 94 : Τέχνη δισασκαλία.
  2. M., I, 49-53.
  3. M., II, 77.
  4. P., II, 151.