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CONCLUSION.

donnés comme soumis à la nécessité, et la science de la nature n’est possible qu’à cette condition.

Cette distinction entre les vérités de raisonnement et les vérités de fait est universellement admise de nos jours. Elle correspond à la différence de la déduction et de l’induction. Stuart Mill distingue une logique de la conséquence, qui détermine les lois de la pensée en tant qu’elle veut rester d’accord avec elle-même, et une logique de la vérité qui détermine les lois de la pensée en tant qu’elle veut être d’accord avec l’expérience. La distinction faite par ce philosophe entre la logique déductive et la logique inductive (nous aurions, pour notre part, d’expresses réserves à faire sur ce point) est devenue classique. À deux sortes de vérités correspondent deux sortes de certitudes : on distingue, dans les cours de philosophie, une certitude mathématique et une certitude physique, qu’on place sur le même rang. Il est vrai qu’il n’est jamais question de cette dernière qu’au chapitre de la certitude : partout ailleurs on raisonne comme s’il n’y avait qu’un type de certitude, celle que Kant a appelée apodictique. Quoi qu’il en soit, savants et philosophes sont d’accord pour appeler vérités au même titre les vérités de fait et les vérités mathématiques : il serait ridicule de considérer les unes comme moins certaines que les autres ; le même mot science désigne également la connaissance des unes et des autres.

Nous avons ici un remarquable exemple des modifications qui s’introduisent, sans qu’on y prenne garde, dans le sens des mots et qui préparent les plus regrettables malentendus. Un mot prend une signification nouvelle, pour des raisons d’ailleurs fort légitimes ; il garde en même temps sa signification ancienne, et notre esprit, obéissant à des habitudes d’origines diverses, oscille de l’une de ces significations à l’autre et les confond. C’est ce qui est arrivé pour les mots science et certitude.

Jamais les anciens philosophes n’auraient consenti à employer ces mots dans le sens que nous leur donnons aujourd’hui. Pour eux, savoir, c’est comprendre : or, il faut bien en convenir, dans les sciences de la nature, nous savons sans comprendre. Nous