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PYRRHON.

Pyrrhon serait allé non pas sans doute donner contre les rochers et les murs, mais commettre des imprudences qui inquiétaient ses amis. Il ne tenait pas à la vie. C’est de lui que Cicéron[1] a dit qu’il ne faisait aucune différence entre la plus parfaite santé et la plus douloureuse maladie. C’est lui encore qui, au témoignage d’Épictète[2], disait qu’il n’y a point de différence entre vivre et mourir.

Sa philosophie, on le voit, est celle de la résignation, ou plutôt du renoncement absolu. C’est ainsi, nous dit-on[3] encore, qu’il avait toujours à la bouche ces vers d’Homère : « Les hommes sont semblables aux feuilles des arbres » ; et ceux-ci : « Mais, toi, meurs à ton tour. Pourquoi gémir ainsi ? Patrocle est mort, et il valait bien mieux que toi. »

Cet homme extraordinaire inspira à tous ceux qui le virent de près une admiration sans bornes. Ses concitoyens, nous l’avons dit, lui conférèrent les fonctions de grand prêtre et lui élevèrent une statue après sa mort. Il leur avait donné de la philosophie une si haute idée qu’en son honneur ils exemptèrent les philosophes de tout impôt. Son disciple Nausiphanès[4], le même peut-être qui fut le maître d’Épicure, avait été séduit par ses discours, et on raconte qu’Épicure l’interrogeait souvent sur le compte de Pyrrhon, dont il admirait la vie et le caractère. Comment croire qu’il eût exercé un tel ascendant sur Nausiphanès, esprit indépendant, et sur Épicure, si peu soucieux de la logique, si sa principale préoccupation avait été de mettre des arguments en forme ? Il parlait de morale plutôt que de science, et sa vertu donnait à ses discours une autorité que n’ont jamais eue les raisonnements sceptiques.

Mais ce qui plus que tout le reste témoigne en faveur de Pyrrhon, c’est l’admiration qu’il inspira à Timon. Timon n’avait

  1. Fin., II, xiii, 43 : « … Ut inter optime valere et gravissime aegrotare nihi prorsus dicerent interesse. »
  2. Stob., Serm., 121, 28 : Πὐρρων ἔλεγε μηδὲν διαφέρειν ζῆν ἢ τεθνάναι.
  3. Diog., 67.
  4. Diog., 69, 64.