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la garçonne

un fauteuil, et redressant sa huppe, il prononça, sévèrement :

— Ta mère m’a tout dit. Je ne m’attarderai pas plus qu’elle à te faire ressortir l’imbécillité et l’ignominie de ta conduite. Je sais que nous nous adressons à un caractère buté. Laissons donc les commentaires. Aussi bien la « faute » de Lucien n’est-elle plus rien, à côté de la tienne !…

— Si tu m’as condamnée, père, à quoi bon plaider encore ?

Il observa sèchement :

— Je ne plaide pas. Quant à ta condamnation, puisqu’en effet, dis-le-toi bien, je suis ton juge sans appel, — elle n’est pas prononcée encore. L’avenir dépend de toi… de ton intelligence, et de ton cœur. C’est à eux que je fais appel, à ce qu’il peut rester de sain, de normal en toi… Tu es vive, mais tu n’es pas méchante. Tu me l’as encore prouvé hier, à propos de ta dot…

— Cet argent est le tien, père, et rien ne te forçait à me le donner.

— C’est vrai. Mais, moi, je t’aime bien ! Et d’autre part, je dois l’ajouter, étant honnête : ne pas te doter, dans ma situation d’affaires, impossible ! Le mariage d’une fille, pour un grand industriel, c’est, à tous les sens du mot, un placement. Il doit correspondre à l’importance du bilan, et renforcer le crédit. La dot n’est pas seulement, dans notre monde, un usage qui fait loi, c’est, pour l’opinion, un critérium. La cote d’une fortune. En acceptant, comme tu l’as fait avec Lucien, de ne recevoir qu’une dot fictive, tu m’obligeais donc, plus que tu ne penses… Et je t’en remercie encore.