Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
la garçonne

Elle ne broncha pas. À l’élan de son affection acceptant de se dépouiller, avait succédé le dégoût de n’avoir été dans ce négoce que denrée inerte, et tarifée. On se la passait de main en main, non pour sa valeur propre, mais pour simple évaluation marchande.

— J’ai déjeuné ce matin avec Lucien. Je voulais vider son sac… savoir ce qu’il y avait sous cette histoire de réveillon… Bon ! bon ! je n’y reviens pas, bien qu’il soit nécessaire que tu saches : cette femme…

— Maman m’a déjà dit. Chantage, sinon scandale, et cætera… N’y reviens pas, c’est inutile.

— C’est qu’il va venir, lui !… Ta mère ne m’a révélé ton beau coup qu’à la minute… Et je ne savais plus où le prendre, au téléphone…

— Je l’attends.

— Permets ! Ou tu es raisonnable, et il n’y a pas d’inconvénient, au contraire, à ce que vous vous rencontriez. Ou tu es irréductible, et alors tu ne le verras pas. J’arrangerai les choses comme je pourrai, de mon mieux… Décide.

— Je le verrai.

Le visage de M, Lerbier s’éclaira :

— J’en étais sûr. Au fond je ne doutais pas de toi !… L’orgueil, quand il n’est pas une vertu féconde, est un travers funeste… Tu as réfléchi, tu as bien fait… Au-dessus des misères et des petitesses, il n’y a qu’une chose qui compte réellement, l’affection, la tendresse !… Et la famille !…

Il s’arrêta, parce que ses phrases tombaient, dans un silence de gêne, et aussi, parce qu’il était tout ému de son éloquence : il croyait sincèrement la