Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
la garçonne

mettre au service des intérêts de Monique, quand il ne défendait que les siens…

Elle releva, enfin :

— La famille !… Non, papa, n’espère pas que Lucien Vigneret en soit, jamais.

— Prends garde, si ce n’est ta propre exclusion que tu cherches…

— Tu n’auras pas à me chasser de la maison !

— Parce que tu en sortirais de ton plein gré ?

Ils se défiaient du regard, s’affrontaient, comme des ennemis.

— Oui.

M. Lerbier s’exclama :

— C’est de la folie, de la folie !

Et mordu aux entrailles par la crainte de l’affaire compromise, voyant Vigneret et son association perdus, les paiements suspendus peut-être à l’usine, la curée enfin des acquéreurs à bas prix, sur les lambeaux de son brevet, il gémit avec une sincérité si complète qu’elle en devenait émouvante :

— Écoute ! Tu sais mon travail acharné, ma vie consacrée à la recherche de l’invention que je viens enfin de mettre au point ! Une invention qui ne nous enrichira pas seuls, mais qui peut faire, qui fera, tu m’entends, la prospérité du pays !… La terre de France, grâce à mes engrais azotés, peut rendre dix fois plus qu’elle ne donne actuellement. Deux belles récoltes seulement, et c’est le change équilibré, les ruines de la guerre relevées ! C’est, pour notre peuple entier un prodigieux essor… Seulement, je te l’ai dit avant hier, je suis au bout de mon rouleau. Demain, si je ne suis renfloué, j’échoue au port…

— Oh ! dit Monique, il ne manquera pas de re-