Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/166

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
164
la garçonne

qu’un bel animal familier, se changea, devant les regards admiratifs dont le palace entier continuait à les entourer, en un insurmontable agacement. Partout, au restaurant, sur la terrasse, dans les couloirs, et jusque dans les sentiers de leurs promenades, les femmes suivaient, d’une œillade appuyée, ou honteuse, « le danseur nu ». Il poitrinait, d’un air fat…

Ou bien, sortant un minuscule nécessaire qui contenait, avec le miroir de poche, un peigne et des feuilles à poudrer, il prenait soin, minutieusement, de son visage, durant qu’elle parlait. Elle haussait les épaules, avec commisération. Piqué, il avait cherché désormais toutes les occasions de dispute.

Les lettres dont ses admiratrices le poursuivaient la lui fournirent. Monique au début s’était intéressée à leur provenance. Moins par jalousie que par curiosité d’observation. C’était la grande distraction à l’heure du café. Ensemble ils décachetaient le courrier, commentaient… Habitude à laquelle, les derniers jours, dédaigneusement elle avait renoncé.

La veille du départ, — comme elle affectait de s’absorber dans la lecture de l’Éclaireur de Nice — Peer, ulcéré, toussa, en reposant ostensiblement sur la table une enveloppe parfumée.

Silence. Monique ne bronchait pas. Alors il éclata :

— Je ne vois pas ce que je fais ici, du moment que vous ne vous souciez pas davantage de ma personne ! Heureusement, si vous vous en moquez, d’autres me rendent justice !

— Mais, mon cher, moi aussi. Vous êtes le plus beau des danseurs, c’est entendu.

— Et le plus bête des hommes, n’est-ce pas, comme vous la plus intelligente des femmes ?