Page:Victor Margueritte - La Garçonne, 1922.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
la garçonne

Son ours ! Depuis la veille elle donnait à l’appellation un sens multiplié, à la fois possessif et reconnaissant. Elle se sentait presque une personne nouvelle. La soudaineté de l’attaque avait porté un tel coup à l’ancienne Monique, dispersée et morne, que celle-ci, vaincue, avait touché terre.

L’indifférente aimait. Elle aimait quelqu’un de sain, de digne, de fier. Elle aimait moralement autant que physiquement. Elle avait du coup repris pied, sur le sol ferme. L’amour, seul champ fécond de l’existence !

Les quinze jours qu’ils avaient passés à Rozeuil, n’avaient été qu’un ravissement. La petite maison basse, enfouie, dans le pré, sous les hauts peupliers… le jardin paysan, mais secret derrière ses épaisses haies… la berge propice aux après-midi de siestes amoureuses… l’Oise herbue, bordant la terrasse aux bateaux… les promenades en yole dans les bras des petites îles, leur enlacement de fraîcheur verte au matin, de tiédeur bleue la nuit, — la nuit où plus encore que le jour ils savouraient le délice de leur solitude… Et, sur ce divin séjour, hors du monde, — comme un enveloppement magique, du crépuscule à l’aube, — la lumière amie de la lune… Une lune énorme et dorée… Une lune de miel.

L’ours, à force d’être léché, baigné, caressé, était devenu mouton. Monique, bergère, retrouvait l’âme de son enfance, une extase innocente, au contact de la campagne, au creuset de la nature. Les déjeuners à l’auberge et les dînettes « chez nous », — les pêches miraculeuses où, pour toute friture, il avait hameçonné un vieux soulier, elle une racine aquatique, — les jeux laissés par Rignac, croquet et bad-