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la garçonne

— Non. Rentre si tu veux. Je préfère aller m’asseoir, dans le jardin. J’ai besoin d’être seule… Tu viendras me rejoindre.

Il secoua la tête :

— Allons nous asseoir.

Ils traversèrent les grands parterres où couples et familles musaient, dans la magnificence du jour apaisé. Elle contemplait avec tristesse les femmes suspendues d’un air tendre, au bras de leurs compagnons, les bandes d’enfants qui jouaient, entre les chaises, autour des groupes de parents, cousant, lisant. Elle envia leur indifférence. Combien de ces promeneurs portaient, comme elle, une âme de tourment ? Elle cherchait à lire à travers les faces leur secret… Que d’insoucieux et de résignés ! Et comme, au milieu de cette foule, elle était seule !…

Régis marchait à sa hauteur. En étendant le bras, elle l’eût touché. Elle le regarda, surprise de se sentir, si près de lui, comme à cent lieues. Enfin, sous le grand arbre qui ombrage la statue de Mme de Ségur, ils trouvèrent deux fauteuils libres. Elle dit :

— Ici… on ne sera pas trop mal.

Le silence entre eux pesa, un moment encore. Enfin Régis, refoulant sa rancœur, trouva le mot qu’elle n’attendait pas, et qui l’émut :

— Je ne mérite pas que tu m’aimes… si tu m’aimes encore. Je me suis conduit, cet après-midi, comme un goujat.

Il avait levé ses yeux, jusque-là baissés, et humblement l’implorait. Surprise, elle se recueillit… Elle avait été si écœurée par son inqualifiable attitude chez Mme Ambrat, qu’elle s’était tue, depuis. Le silence, plus méprisant que toute récrimination ! Attaquer ?