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térisait en raccourci l’ensemble de cette contrée[1]. De quelle nature est donc cette personnalité, et comment faut-il l’entendre?

QUESTION DE GÉOGRAPHIE HUMAINE

Une individualité géographique ne résulte pas de simples considérations de géologie et de climat. Ce n’est pas une chose donnée d’avance par la nature. Il faut partir de cette idée qu’une contrée est un réservoir où dorment des énergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l’emploi dépend de l’homme. C’est lui qui, en la pliant à son usage, met en lumière son individualité. Il établit une connexion entre des traits épars; aux effets incohérents de circonstances locales, il substitue un concours systématique de forces. C’est alors qu’une contrée se précise et se différencie, et qu’elle devient à la longue comme une médaille frappée à l’effigie d’un peuple.

Ce mot de personnalité appartient au domaine et au vocabulaire de la géographie humaine. Il correspond à un degré de développement déjà avancé de rapports généraux.

Ce degré a été atteint de bonne heure par la France. De cet état vague et rudimentaire oh les aptitudes et les ressources géographiques d’une contrée restent à l’état latent, où rien ne ressort encore de ce qui accuse une personnalité vivante, notre pays en est sorti plus tôt que d’autres. Il est un de ceux qui ont pris le plus anciennement figure. Tandis que, dans la partie continentale de l’Europe, les grandes contrées de l’avenir, Scythie, Germanie, n’apparaissaient que dans une pénombre indistincte, on pouvait déjà discerner les contours de celle qui devait s’appeler la France.

Il nous a semblé qu’avant d’aborder une description détaillée, l’examen de ce fait était digne d’attention. Comment un fragment de surface terrestre qui n’est ni péninsule ni île, et que la géographie physique ne saurait considérer proprement comme un tout, s’est-il élevé à l’état de contrée politique, et est-il devenu enfin une patrie ? Telle est la question qui se pose au seuil de ce travail.

  1. Ces paroles sont citées et discutées à la page 9.