Aller au contenu

Page:Vigneron - Portraits jaunes, 1896.pdf/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
PORTRAITS JAUNES

« Le jour fixé étant venu, dit-il, nos deux vétérans déjeunèrent solidement et vidèrent un large vase de vin chaud pour se donner force et courage ; après quoi ils endossèrent une tunique noire à bordures rouges, qui portait par devant et par derrière un écusson en toile blanche, sur lequel était dessiné en grand le caractère ping[1], qui veut dire soldat. La précaution n’était pas inutile, car notre catéchiste, avec sa petite figure blême, son corps fluet et rétréci et ses yeux larmoyants, toujours modestement baissés, n’avait certainement pas la tournure bien guerrière… »

Nous arrivons à la revue proprement dite :

« Les guerriers étaient accoutrés de toutes les façons… Leurs armes, qui se dispensaient de reluire aux rayons du soleil, étaient d’une grande variété ; il y avait des fusils, des arcs, des piques, des sabres, des tridents et des scies au bout d’un long manche, des boucliers en rotin et des coulevrines en fer, ayant pour affût les épaules de deux individus.

« Au milieu de cette bigarrure nous remarquâmes pourtant une certaine uniformité : tout le monde avait une pipe et un éventail ; le parapluie n’était pas sans doute de tenue, car ceux qui en portaient un sous le bras étaient en minorité. À une des extrémités du camp, on avait élevé sur une éminence une estrade en planches, abritée par un immense parasol rouge et ornée de drapeaux et de quelques grosses lanternes dont on n’avait nul besoin pour y voir, attendu que le soleil était tout resplendissant ; elles avaient peut-être un sens allégorique et signifiaient probablement que les miliciens étaient en présence de juges éclairés. À un angle était un domestique tenant à la main une mèche fumante, non pas pour mettre le feu aux canons, mais pour allumer les pipes.

« Le moment de commencer étant arrivé, on fit partir une petite coulevrine, pendant que les juges sur l’estrade se protégeaient les oreilles avec les deux mains pour ne pas être assourdis par cette effroyable détonation. Les tam-tam résonnèrent avec furie, les soldats coururent pêle-mêle, et la mêlée, chose à laquelle on réussit le mieux, ne se fit pas attendre. Il est impossible d’imaginer rien de plus comique que les évolutions des soldats chinois ; ils avancent, reculent, sautent, pirouettent, font des gambades, s’accroupissent der-

  1. Note de Wikisource : on dit plutot « bing ».