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Page:Vigneron - Portraits jaunes, 1896.pdf/42

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PORTRAITS JAUNES

rière leur bouclier, se relèvent tout à coup, distribuent des coups à droite et à gauche, et se sauvent à toutes jambes en criant : Victoire ! Victoire !

« Après cette grande bataille, on fit manœuvrer des compagnies d’élite, dont l’habileté consiste à faire des cabrioles ou à se tenir longtemps en équilibre sur une jambe, à la façon des pénitents hindous. Le tir des petites coulevrines fut ce qu’il y eut de plus divertissant. On ne saurait s’imaginer rien de plus pittoresque que la figure de ces malheureux, quand on mettait le feu à la machine portée solennellement sur leurs épaules ; ils tenaient à montrer de la sérénité et de la grandeur d’âme ; mais la position était si critique et les muscles de leurs faces prenaient des formes tellement inusitées, qu’il en résultait des grimaces étonnantes. Le gouvernement impérial, dans sa paternelle sollicitude à l’égard de ces infortunés porte-coulevrines, a prescrit qu’on leur tamponnerait soigneusement les oreilles avec du coton… Nous retournâmes après à notre résidence, où nous vîmes bientôt revenir nos deux héros, couverts de poussière, de gloire et de sueur… »

Le missionnaire cependant ne pense pas que les Chinois soient radicalement incapables de faire de bons soldats. Ils sont susceptibles de dévouement et de courage ; parfois on les a vus soutenir des sièges qui rappelaient la défense de Saragosse, et, comme les Russes à Moscou, ravager leurs villages et leurs cités, et faire autour d’eux un immense désert pour affamer l’ennemi. Les Chinois, en effet, sont intelligents, ingénieux, d’un esprit prompt et souple ; ils sont de plus actifs, persévérants, soumis, obéissants, respectueux envers l’autorité, durs à la fatigue.

Ce qui manque à la Chine, c’est un homme de génie et des auxiliaires de talent. Que va-t-il arriver à la suite des événements actuels ? Nous ne pouvons le dire, mais il nous plaît d’évoquer l’avenir et d’entrevoir une époque où, dans ces pays de race jaune, c’en sera fait de la barbarie, de la duplicité et de la cruauté ; où la tolérance religieuse aura provoqué d’innombrables conversions, et où vainqueurs et vaincus, réunis dans la communauté d’une même foi, vivront dans la paix féconde et chanteront, dans de curieuses cathé-