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ALFRED DE VIGNY

est un philosophe ! il est même plus philosophe que poète : la gloire, il a cru longtemps en elle, a-t-il écrit, mais « réfléchissant que l’auteur du Laocoon est inconnu, j’ai vu la vanité ». « Il y a, d’ailleurs, en moi, ajoute-t-il, quelque chose de plus puissant pour me faire écrire, le bonheur de l’inspiration, délire qui surpasse de beaucoup le délire physique correspondant qui nous enivre dans les bras d’une femme. La volupté de l’âme est plus longue... L’extase morale est supérieure à l’extase physique. »

Ce que Vigny appelle ici le bonheur de l’inspiration serait plutôt le plaisir de la pensée. L’art pour Vigny était le moyen de fixer ses idées le plus exactement possible, sans les noyer dans un océan d’images selon la méthode de Victor Hugo. II a écrit que le silence était la poésie même pour lui : « Eh quoi ! ma pensée n’est-elle pas assez belle par elle-même pour se passer du secours des mots et de l’harmonie des sons ! » C’est exagéré, puisqu’il n’y a pas de pensée sans les mots, mais il y a une sorte de dépit dans cette comparaison de sa pensée nette, d’une ligne pure et logique, et de la difficulté de la dessiner avec des mots. Il faut dire que Vigny vit dans l’abstrait, et que beaucoup de ses pensées ne découvrirent jamais leur voile, même pour lui. Délire ! extase ! je crois bien qu’aucun démon secret ne le poussa à faire des vers. La poésie était