Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
66
poèmes antiques et modernes

Dans un fluide d’or il nage puissamment[1],
Et parmi les rayons se balance un moment :
Mais l’homme l’a frappé d’une atteinte trop sûre ;
Il sent le plomb chasseur fondre dans sa blessure[2] ;
Son aile se dépouille, et son royal manteau
Vole comme un duvet qu’arrache le couteau.
Dépossédé des airs, son poids le précipite ;
Dans la neige du mont il s’enfonce et palpite,
Et la glace terrestre a d’un pesant sommeil
Fermé cet œil puissant respecté du Soleil.



Tel retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,
L’Ange maudit pencha sa chevelure noire[3],
Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :
« — Triste amour du péché ! sombres désirs du mal !
» De l’orgueil, du savoir gigantesques pensées !
» Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
» Maudit soit le moment où j’ai mesuré Dieu[4] !
» Simplicité du cœur ! à qui j’ai dit adieu,
» Je tremble devant toi, mais pourtant je t’adore ;
» Je suis moins criminel puisque je t’aime encore ?
» Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas[5] !

  1. Chateaubriand, René : Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m’arrêtais sur les ponts pour voir se coucher le soleil. L’astre, enflammant les vapeurs de la cité, semblait osciller lentement dans un fluide d’or.
  2. Var : M1, Il sent le plomb chasseur brûler (corr. : fondre dans sa blessure)
  3. Var : M1, 1er  main, Le prince ténébreux courba sa tête noire, 2e main, texte actuel.
  4. Milton, P. P., IV, 40 : L’orgueil et l’ambition pire m’ont précipité ; j’ai porté la guerre dans le ciel contre le roi du ciel, qui n’a pas de rival.
  5. Var : M1, Mais dans moi-même, hélas ! (corr. : texte actuel.)