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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/139

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la femme adultère

Appelle sa famille au lever solennel,
Et salue en ses chants le jour et l’Éternel[1][2] ;
Le séducteur, content du succès de son crime,
Fuit l’ennui des plaisirs et sa jeune victime.
Seule, elle reste assise, et son front sans couleur
Du remords qui s’approche a déjà la pâleur[3] ;
Elle veut retenir cette nuit, sa complice[4],
Et la première aurore est son premier supplice[5] :
Elle vit tout ensemble et la faute et le lieu[6].
S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu.
Elle joignit les mains, immobile et muette[7].
Ses yeux toujours fixés sur la porte secrète ;

  1. Ces vers sont peut-être inspirés par le début du Caïn de Byron. Adam, au lever du jour, entouré de sa famille, offre à Dieu un sacrifice : « Dieu ! éternel ! infini ! sagesse suprême ! toi qui d’une parole, du sein des ténèbres de l’abîme fis jaillir la lumière sur les eaux, salut, Jehovah, au retour de la lumière, salut ! « Le poème de Byron n’a paru, il est vrai, qu’en 1821, et celui de Vigny est daté de 1819 ; mais on peut admettre un raccord fait après coup.
  2. Var : P1, l’éternel.
  3. Var : M1, 1er main, Du regret éternel a déjà la pâleur M1, 2e main, P1, De l’immortel remords a déjà la pâleur ;
  4. Var v. 49-50 : M1, 1er main, Elle contemple alors, amante abandonnée, | De ses chastes foyers l’enceinte profanée ; 2e main, Elle veut retenir cette nuit, etc. (Vigny marque ainsi son intention de transporter à cette place deux vers qui faisaient primitivement partie d’un développement ultérieur. Voir ci-dessous, vers 69-72). P1, Elle veut retenir cette nuit, sa complice, I Et la première aurore est son premier supplice. A, Et la première aurore et son premier supplice. B-D, Et la première aurore, et son premier supplice.
  5. Byron, Parisina (trad. de Bruguiére de Sorsum, Lycée Français, août 1819) : Il faut qu’ils se séparent, le cœur appesanti par la crainte, et avec ce frissonnement qui suit de prés les actions criminelles.
  6. Var v. 51-52 : M1, 1er main, Sa paupière d’ébène, orgueil de son regard, | Ne sait plus dérober le feu d’un œil hagard. 2e main, Tout parle de sa faute, et son .âme en ce lieu | S’étonna d’elle-même et douta de son Dieu. P1, C’est alors qu’elle vit et la faute et le lieu,
  7. Var v. 55-54 : M1, M2, P1, Une terne blancheur, comme un voile épaissie, Entoura tristement sa prunelle obscurcie.