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doloria

À peine chaque jour l’épouse délaissée
Voit un baiser distrait sur sa lèvre empressée
Tomber seul, sans l’amour ; son amour cependant
S’accroît par les dédains et souffre plus ardent.

Près d’un constant époux, peut-être, ô jeune femme !
Quelque infidèle espoir eût égaré ton âme ;
Car l’amour d’une femme est semblable à l’enfant
Qui, las de ses fouets, les brise triomphant.
Foule d’un pied volage une rose immobile,
Et suit l’insecte ailé qui fuit sa main débile[1].

Pourquoi Dolorida seule en ce grand palais[2],
Où l’on n’entend, ce soir, ni le pied des valets,
Ni, dans la galerie et les corridors tristes.
Les enfantines voix des vives caméristes ?



Trois heures cependant ont lentement sonné ;
La voix du temps est triste au cœur abandonné ;
Ses coups y réveillaient la douleur de l’absence[3],

  1. Byron (Mazeppa, XII), peint le cheval qui emporte son héros « aussi furieux qu’un enfant gâté dont on contrecarre le caprice, ou bien, — plus terrible encore, — qu’une femme en colère qui n’en veut faire qu’à sa tête. » — Giaour, trad. Pichot : Telle on voit, dans les vertes prairies de Cachemire, la reine des papillons de l’Orient qu’un enfant poursuit sans pouvoir l’atteindre : chaque fois qu’elle se pose sur une fleur, il croit enfin la saisir, son cœur palpite, il approche une main tremblante : l’insecte aux ailes d’azur s’échappe encore, et laisse le jeune chasseur haletant et l’œil humide de larmes. C’est ainsi que brillante et volage comme le papillon, la beauté se joue des désirs de l’enfant devenu homme.
  2. Var v. 55-58 : Ces quatre vers manquent totalement dans O, P2, A ; ils sont supprimés à cette place dans B-C3, en raison de leur substitution aux vers 35-38.
  3. Var v. 61-62 : O, Chaque son a longtemps retenti dans ce vide. | Et la lampe luttait, et sa flamme livide