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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/179

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doloria

J’ai dit : Je vais mourir ; que la fin de mes jours
Lui fasse au moins savoir qu’absent j’aimais toujours.
Alors je suis parti, ne demandant qu’une heure
Et qu’un peu de soutien pour trouver ta demeure.
Je me sens plus vivant à genoux devant toi.

— Pourquoi mourir ici, quand vous viviez sans moi ?

— Ô cœur inexorable ! oui, tu fus offensée !
Mais écoute mon souffle, et sens ma main glacée ;
Viens toucher sur mon front cette froide sueur ;
Du trépas dans mes yeux vois la terne lueur.
Donne, oh ! donne une main ; dis mon nom. Fais entendre
Quelque mot consolant, s’il ne peut être tendre.
Des jours qui m’étaient dus je n’ai pas la moitié ;
Laisse en aller mon âme en rêvant ta pitié !
Hélas ! devant la mort montre un peu d’indulgence[1] !

— La mort n’est que la mort et n’est pas la vengeance.

— Ô Dieux ! si jeune encor ! tout son cœur endurci !
Qu’il t’a fallu souffrir pour devenir ainsi !
Tout mon crime est empreint au fond de ton langage.
Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage.
Mais viens, écoute-moi, viens, je mérite et veux
Que ton âme apaisée entende mes aveux.
Je jure, et tu le vois, en expirant, ma bouche
Jure devant ce Christ qui domine ta couche,
Et si par leur faiblesse ils n’étaient pas liés[2].
Je lèverais mes bras jusqu’au sang de ses pieds ;
Je jure que jamais mon amour égarée

  1. Var : P2, Hélas ! avec la mort es-tu d’intelligence ?
  2. Var v. 111-112 : O, entre parenthèses.