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la prison

Mais, sans nous élever jusqu’à ce divin Maître,
Si j’osais, après lui, nommer encor le prêtre,
Je vous dirais : Et moi, pour combattre l’enfer,
J’ai resserré mon sein dans un corset de fer[1] ;
Mon corps a revêtu l’inflexible cilice,
Où chacun de mes pas trouve un nouveau supplice.
Au cloître est un pavé que, durant quarante ans,
Ont usé chaque jour mes genoux pénitents[2],
Et c’est encor trop peu que de tant de souffrance
Pour acheter du Ciel l’ineffable espérance[3].
Au creuset douloureux il faut être épuré[4]
Pour conquérir son rang dans le séjour sacré[5].
Le temps nous presse, au nom de vos douleurs passées[6].


    prendras alors que tu ne sais rien, que tu n’es rien, et qu’il n’y a point de châtiments si rigoureux, point de maux si terribles, que la chair corrompue ne mérite de souffrir… Mon fils, le ciel, le ciel, voilà ce qu’il ne faut jamais accuser !… Ne nous lassons point d’espérer. Chactas, c’est une religion bien divine que celle-là qui a fait une vertu de l’espérance ! »

  1. Var : M, Mon cœur s’est enfermé (corr. : J’ai resserré mon sein).
  2. Var : (M, ?) P1, Ont usé, dans les pleurs,
  3. Walter Scott, Le Lai du dernier ménestrel, trad. Defauconpret, ch. II, 5 (c’est un vieux moine qui parle) : Ma poitrine est entourée d’une ceinture de fer, mon corps est couvert d’un cilice armé de pointes aiguës. J’ai passé soixante ans dans la pénitence, mes genoux ont usé les pierres de ma cellule, et c’est encore trop peu pour obtenir le pardon d’avoir connu ce qui ne devait jamais l’être.
  4. Var v. 79-80 : M, P1, Au creuset douloureux (M, 1er  main, du malheur) tout notre être épuré | S’envole en bienheureux vers le séjour sacré.
  5. Pierre Lebrun, Marie Stuart, V, 3 :

    Marie, autrefois reine et maintenant martyre,
    Lorsque le roi des cieux du monde vous retire.
    Allez vers lui sans peur : l’or pur est éprouvé ;
    De la paix du Seigneur l’instant est arrivé.
    Coupable seulement des erreurs d’une femme,
    Vos fautes dans le ciel ne suivront pas votre âme ;
    Et quiconque vers Dieu s’élève avec amour
    N’emporte rien du monde au céleste séjour.

    (Comparer surtout avec le texte du manuscrit et de la 1er  édition.)

  6. Var : M, 1er  main, Le temps presse, ô mon fils, par vos douleurs passées 2e main, texte actuel.