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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/231

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le bal

Une lune immobile éclairait les vallées.
Où des citronniers verts serpentent les allées ;
Des milliers de soleils, sans offenser les yeux,
Tels qu’une poudre d’or, semaient l’azur des cieux,
Et les monts inclinés, verdoyante ceinture
Qu’en cercles inégaux enchaîna la nature.
De leurs dômes en fleurs étalaient la beauté,
Revêtus d’un manteau bleuâtre et velouté[1].
Mais aucun n’égalait, dans sa magnificence,
Le Mont Serrât[2], paré de toute sa puissance[3] :
Quand des nuages blancs sur son dos arrondi
Roulaient leurs flots chassés par le vent du midi[4],
Les brisant de son front, comme un nageur habile,
Le géant semblait fuir sous ce rideau mobile ;
Tantôt un piton noir, seul dans le firmament,
Tel qu’un fantôme énorme, arrivait lentement ;
Tantôt un bois riant, sur une roche agreste.
S’éclairait, suspendu comme une île céleste.
Puis enfin, des vapeurs délivrant ses contours,
Comme une forteresse au milieu de ses tours,
Sortait le pic immense : il semblait à ses plaines
Des vents frais de la nuit partager les haleines ;
Et l’orage indécis, murmurant à ses pieds.
Pendait encor d’en haut sur les monts effrayés.


  1. Chateaubriand, Génie, 1er partie, l. V, ch. 12 : Le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres.
  2. Le Mont Serrât est une montagne de la Catalogne, où s’élevait un monastère fréquenté comme lieu de pèlerinage. « On a conduit au fort de Monjoui les religieux du couvent de Montserrat, que l’on a surpris faisant des cartouches pour les insurgés » (Débats du 5 août 1822).
  3. Var : O1-O3, P2, A-C2 Le Mont-Serrat
  4. Var : O2, O3 : Midi