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LA FRÉGATE LA SÉRIEUSE

ou
LA PLAINTE DU CAPITAINE
poème

I

Qu’elle était belle, ma Frégate,
Lorsqu’elle voguait dans le vent[1][2] !
Elle avait, au soleil levant,
Toutes les couleurs de l’agate ;
Ses voiles luisaient le matin
Comme des ballons de satin ;
Sa quille mince, longue et plate,

  1. La correction faite par Vigny au texte primitif du second vers lui fut suggérée par un article de Ch. Magnin, qui rendit compte des Poèmes dans le Globe du 21 octobre 1829. « Nous avons entendu des marins, disait Magnin, entrer dans une furieuse colère contre l’auteur pour la manière dont il défigure leur belle langue en croyant la parler. Nous avons d’abord ri de leurs critiques, puis nous avons fini par être ébranlé. Au fait, si l’école nouvelle a raison de substituer le mot juste et propre au mot noble et vague que recherchait sa devancière, encore faut-il qu’elle emploie vraiment le mot propre et non le mot à côté… « Voguer sous le vent » n’est d’aucune langue. On est sous le vent d’un autre navire, ce qui exprime un rapport de position, et le plus souvent un désavantage ; on serre le vent ; on est près du vent… Vous voulez être plus précis, plus vrai que vos devanciers : vous avez raison ; mais prenez garde ! De tous les genres de faussetés, le technique faux serait le pire. »
  2. Var : A, sous le vent !