Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
la frégate la sérieuse

Je le reconnus bien, et je lui dis : « Ma fille,
Je te comprends, merci ! »

J’avais une lunette exercée aux étoiles ;
Je la pris, et la tins ferme sur l’horizon.
— Une, deux, trois, — je vis treize et quatorze voiles ;
Enfin, c’était Nelson[1].

Il courait contre nous en avant de la brise ;
La Sérieuse à l’ancre, immobile, s’offrant,
Reçut le rude abord sans en être surprise.
Comme un roc un torrent.

Tous passèrent près d’elle en lâchant leur bordée ;
230 Fière, elle répondit aussi quatorze fois.
Et par tous les vaisseaux elle fut débordée,
Mais il en resta trois.

Trois vaisseaux de haut bord — combattre une frégate !
Est-ce l’art d’un marin ? le trait d’un amiral ?
255 Un écumeur de mer, un forban, un pirate,
N’eût pas agi si mal !

N’importe ! elle bondit, dans son repos troublée,
Elle tourna trois fois jetant vingt-quatre éclairs.
Et rendit tous les coups dont elle était criblée,
Feux pour feux, fers pour fers.

Ses boulets enchaînés fauchaient des mâts énormes,
Faisaient voler le sang, la poudre et le goudron.

  1. Ader, Histoire de l’expédition d’Égypte, p. 88 : L’escadre anglaise fut signalée le 1er août, [quatorze thermidor], à deux heures de l’après-midi. Poussée par un vent favorable, elle se trouvait à trois heures si rapprochée de la flotte française que l’on pouvait à la simple vue distinguer les quinze vaisseaux qui la composaient. À six heures on fut en présence, et le feu commença de part et d’autre.