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Page:Vigny - Poèmes antiques et modernes, éd. Estève, 1914.djvu/91

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CHANT TROISIÈME

chute[1]

D’où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère,
Qu’au temps de son enfance a vu naître la terre,
Fleur de ses premiers jours qui germez parmi nous,
Rose du Paradis ! Pudeur, d’où venez-vous[2] ?
Vous pouvez seule encor remplacer l’innocence,
Mais l’arbre défendu vous a donné naissance ;
Au charme des vertus votre charme est égal.
Mais vous êtes aussi le premier pas du mal ;
D’un chaste vêtement votre sein se décore[3],
Ève avant le serpent n’en avait pas encore ;
Et si le voile pur orne votre maintien[4].
C’est un voile toujours, et le crime a le sien[5] ;
Tout vous trouble, un regard blesse votre paupière[6].
Mais l’enfant ne craint rien, et cherche la lumière.

  1. Titre : M1, La Chute.
  2. Millevoye, Les adieux d’Hélène (ce vers est inspiré lui-même d’une épigramme de Sapho) :
    Ô Pudeur ! où fuis-tu quand tu nous as quittée ?
  3. Var : M1, Des longs plis d’un lin pur (corr. : texte actuel.)
  4. Var : M1, Et si le voile blanc (corr. : Et si l’ombre d’un voile)
  5. Milton, P. P., IV, 312 : Ces mystérieuses parties [du corps d’Adam et d’Ève] n’étaient point cachées alors ; il n’y avait point alors de honte coupable. Honte déshonnête des œuvres de la nature, honneur déshonorant, produit du péché, comme vous avez troublé toute l’humanité avec ces apparences, ces seules apparences de pureté, et banni de la vie de l’homme le plus grand bonheur de sa vie, la simplicité et l’immaculée innocence. Ils allaient donc, nus…
  6. Var : M1, un regard baisse (1er corr. : trouble 2e corr. : blesse)