Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/211

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eprit une suite de la conversation commencée dans leur voiture, interrompue par l’arrivée, et qu’il lui tardait de poursuivre.

— « Je vous le répète, Saint-Père, je ne suis point un esprit fort, moi, et je n’aime pas les raisonneurs et les idéologues. Je vous assure que, malgré mes vieux républicains, j’irai à la messe. »

Il jeta ces derniers mots brusquement au Pape comme un coup d’encensoir lancé au visage, et s’arrêta pour en attendre l’effet, pensant que les circonstances tant soit peu impies qui avaient précédé l’entrevue devaient donner à cet aveu subit et net une valeur extraordinaire. — Le Pape baissa les yeux et posa ses deux mains sur les têtes d’aigle qui formaient les bras de son fauteuil. Il parut, par cette attitude de statue romaine, qu’il disait clairement : Je me résigne d’avance à écouter toutes les choses profanes qu’il lui plaira de me faire entendre.

Bonaparte fit le tour de la chambre et du fauteuil qui se trouvait au milieu, et je vis, au regard qu’il jetait de côté sur le vieux pontife, qu’il n’était content ni de lui-même ni de son adversaire, et qu’il se reprochait d’avoir trop lestement débuté dans cette reprise de conversation. Il se mit donc à parler avec plus de suite, en marchant circulairement et jetant à la dérobée des regards perçants dans les