Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/235

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’y prête mal, on nous fait peu de prisonniers. — En attendant, je veux vous dire que je vous verrais avec plaisir étudier la langue de vos ennemis, vous voyez que nous savons la vôtre. Si vous voulez, nous travaillerons ensemble et je vous prêterai Shakspeare et le capitaine Cook. — Ne vous affligez pas, vous serez libre avant moi, car, si l’Empereur ne fait la paix, j’en ai pour toute ma vie. »

Ce ton de bonté, par lequel il s’associait à moi et nous faisait camarades, dans sa prison flottante, me fit de la peine pour lui ; je sentis que, dans cette vie sacrifiée et isolée, il avait besoin de faire du bien pour se consoler secrètement de la rudesse de sa mission toujours guerroyante.

— « Milord, lui dis-je, avant de m’enseigner les mots d’une langue nouvelle, apprenez-moi les pensées par lesquelles vous êtes parvenu à ce calme parfait, à cette égalité d’âme qui ressemble à du bonheur, et qui cache un éternel ennui… Pardonnez-moi ce que je vais vous dire, mais je crains que cette vertu ne soit qu’une dissimulation perpétuelle.

— Vous vous trompez grandement, dit-il, le sentiment du Devoir finit par dominer tellement l’esprit, qu’il entre dans le caractère et devient un de ses traits principaux, justement comme une saine nourriture, perpétuellement reçue,