Page:Vigny - Servitude et grandeur militaires, 1885.djvu/274

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’être général à vingt-cinq ans, âge où l’on peut mettre en œuvre son imagination, il valait mieux demeurer simple capitaine, pour vivre avec les soldats en père de famille, en prieur du couvent.

— « Tenez, me dit-il après ce moment de repos, regardez notre vieux grenadier Poirier, avec ses yeux sombres et louches, sa tête chauve et ses coups de sabre sur la joue, lui que les maréchaux de France s’arrêtent à admirer quand il leur présente les armes à la porte du roi ; voyez Beccaria avec son profil de vétéran romain, Fréchou, avec sa moustache blanche ; voyez tout ce premier rang décoré, dont les bras portent trois chevrons ! qu’auraient-ils dit, ces vieux moines de la vieille armée qui ne voulurent jamais être autre chose que grenadiers, si je leur avais manqué ce matin, moi qui les commandais encore il y a quinze jours ? — Si j’avais pris depuis plusieurs années des habitudes de foyer et de repos, ou un autre état, c’eût été différent ; mais ici, je n’ai en vérité que le mérite qu’ils ont. D’ailleurs, voyez comme tout est calme ce soir à Paris, calme comme l’air, ajouta-t-il en se levant ainsi que moi. Voici le jour qui va venir ; on ne recommencera pas, sans doute, à casser les lanternes, et demain nous rentrerons au quartier. Moi, dans quelques jours, je serai probablement retiré