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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Malgré Bocage et Mme Dorval, ce « péché véniel » ne fut pas goûte d’abord. Le poète s’exagéra singulièrement le différend qui éloignait de son féminisme le public. « La multitude me hait, note le Journal inédit, elle se soumet de force à mes livres que lui imposent les poètes et les philosophes, mais elle sent le mépris que j’ai pour elle et me le rend en haine… Le sujet lui donnait ce soir quelque chose à deviner, la multitude s’appliquait à comprendre. Elle a réussi à comprendre l’événement, mais n’a pas compris la satire philosophique et la question sociale lui a échappé. »

En juillet 1849, l’ouvrage fut repris au Gymnase avec Rose Chéri et Bressant, après qu’eut été également envisagée une nouvelle représentation à bénéfice à l’Opéra. Vigny, alors au Maine-Giraud, s’inquiète de n’avoir reçu que le 8 une lettre qui lui demande une autorisation dont on s’était passé, puisque c’est ce soir-là qu’avait lieu la première. « Mon intention était que cette bagatelle ne fût représentée que cet hiver, sous ma direction, et après des ouvrages de moi plus importants… » Quand, de retour à Paris, le poète, satisfait cette fois de l’accueil de la presse et du public, peut assister à une représentation le 30 décembre, il trouve son acte « joué à ravir par une certaine Rose Chéri, jeune et charmante célébrité, qui ressemble dans ce rôle à Mademoiselle de Coulanges dans Stello ». Quant à Bressant, il est « aussi duc et pair qu’on peut l’être ». On a dit que la Censure républicaine interdit la suite des représentations, après la cinquantième.

Quitte pour la peur a été encore repris et joué cinq fois en 1897 et reste au répertoire de la Comédie-Française.


CHATTERTON.

Vigny, attristé comme les meilleurs de sa génération par la faillite de l’« esprit pur » sous le régime de Juillet, inquiet des retentissants suicides d’artistes et d’hommes de lettres qui semblaient clamer une tragique détresse — lui-même, après Stello, avait reçu de nombreuses lettres de jeunes auteurs désespérés, et les faits-divers de la presse contemporaine sont pleins de récits tragiques (cf. Le Voleur, 10 août, 25 août, 5 novembre 1834) témoignant de la misère des intellectuels — a voulu porter devant le public parisien cette grande pitié de l’homme de lettres. Balzac défendait la même cause avec plus de sens