Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/181

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d’un seul trait ! Le sage doit ne jamais précipiter ses actions : je bois lentement. Ce sera donc, simplement, une goutte, n’est-ce pas ? chaque année. »

Bref, il est peu d’engagements qu’on ne puisse tenir d’une certaine façon… et cette façon pourrait être qualifiée de philosophique.


— « Le plus beau dîner du monde ! »

Telles furent les expressions dont se servit, formellement, Me Percenoix, l’ange de l’Emphytéose, pour définir, d’une façon positive, le repas qu’il se proposait d’offrir aux notabilités de la petite ville de D***, où son étude florissait depuis trente ans et plus.

Oui. Ce fut au cercle, — le dos au feu, les basques de son habit sous les bras, les mains dans les poches, les épaules tendues et effacées, les yeux au ciel, les sourcils relevés, les lunettes d’or sur les plis de son front, la toque en arrière, la jambe droite repliée sur la gauche et la pointe de son soulier verni touchant à peine à terre, — qu’il prononça ces paroles.

Elles furent soigneusement notées en la mémoire de son vieux rival, Me Lecastelier, l’ange du Paraphernal, lequel, assis en face de Me Percenoix, le considérait d’un œil venimeux, à l’abri d’un vaste abat-jour vert.

Entre ces deux collègues, c’était une guerre sourde depuis le lointain des âges ! Le repas devenait le champ de bataille longuement étudié par Me Percenoix et proposé par lui pour en finir. Aussi Me Lecastelier, forçant à sourire l’acier terni de sa face de