Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/245

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mait auprès de la table, dans un fauteuil : les bougies brûlaient encore. Au bruit que je fis en entrant, il s’éveilla et regarda la pendule. Je m’y attendais, je connais cet effet-là. Je vis alors combien il est observé.

— Merci, mon ami, me dit-il. Prosper est-il prêt ? — Nous avons une demi-heure de marche. Je crois qu’il serait temps de le prévenir.

Quelques instants après, nous descendions tous les trois et, à cinq heures sonnant, nous étions sur le grand chemin d’Erquelines. Prosper portait les pistolets. J’avais positivement « le trac », entendez-vous ! Je n’en rougis pas.

Ils causaient ensemble d’affaires de famille, comme si de rien n’eût été. Raoul était superbe, tout en noir, l’air grave et décidé, très calme, imposant à force de naturel !… — Une autorité dans la tenue… Tenez, avez-vous vu Bocage à Rouen, dans les pièces du répertoire 1830-1840 ? — Il a eu des éclairs, là !… peut-être plus beaux qu’à Paris.

— Hé ! hé ! objecta une voix.

— Oh ! oh !… tu vas loin !… interrompirent deux ou trois convives.

— Enfin, Raoul m’enlevait comme je n’ai jamais été enlevé, poursuivit D***, — croyez-le bien. Nous arrivâmes sur le terrain en même temps que nos adversaires. J’avais comme un mauvais pressentiment.

L’adversaire était un homme froid, tournure d’officier, genre fils de famille ; une physionomie à la Landrol ; — mais moins d’ampleur dans la tenue. Les pourparlers étant inutiles, les armes furent chargées.