Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/116

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à l’instant même, comment, avec les formidables ressources actuelles de la Science, ― et ceci d’une manière glaçante peut-être, mais indubitable, ― comment je puis, dis-je, me saisir de la grâce même de son geste, des plénitudes de son corps, de la senteur de sa chair, du timbre de sa voix, du ployé de sa taille, de la lumière de ses yeux, du reconnu de ses mouvements et de sa démarche, de la personnalité de son regard, de ses traits, de son ombre sur le sol, de son apparaître, du reflet de son Identité, enfin. ― Je serai le meurtrier de sa sottise, l’assassin de son animalité triomphante. Je vais, d’abord, réincarner toute cette extériorité, qui vous est si délicieusement mortelle, en une Apparition dont la ressemblance et le charme humains dépasseront votre espoir et tous vos rêves ! Ensuite, à la place de cette âme, qui vous rebute dans la vivante, j’insufflerai une autre sorte d’âme, moins consciente d’elle-même, peut-être ( ― et encore, qu’en savons-nous ? et qu’importe ! ― ) mais suggestive d’impressions mille fois plus belles, plus nobles, plus élevées, c’est-à-dire revêtues de ce caractère d’éternité sans lequel tout n’est que comédie chez les vivants. Je reproduirai strictement, je dédoublerai cette femme, à l’aide sublime de la Lumière ! Et, la projetant sur sa matière radiante, j’illuminerai de votre mélancolie l’âme imaginaire de cette créature nouvelle, capable d’étonner des anges. Je terrasserai l’Illusion ! Je l’emprisonnerai. Je forcerai, dans cette vision, l’Idéal lui-même à se manifester, pour la première fois, à vos sens, palpable, audible, et matérialisé. J’arrêterai, au plus profond de son vol, la première heure