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Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/129

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lueur et vous a conduit vers le monde de l’Amour : là, votre rêve est retombé, les ailes brisées, au souffle d’une femme décevante et dont l’incessante dissonance ravive, à chaque instant, le cuisant ennui qui vous brûle et vous sera nécessairement mortel. Oui, vous êtes de ces derniers grands attristés qui ne daignent pas survivre à ce genre d’épreuve, malgré l’exemple, autour d’eux, de tous ceux qui luttent contre la maladie, la misère et l’amour. ― La douleur fut telle, en vous, de la première déception, que vous vous en estimez quitte envers vos semblables, ― car vous les méprisez de ce qu’ils se résignent à vivre, sous le fouet de tels destins. Le Spleen vous a jeté son linceul sur les pensées et voici que ce froid conseiller de la Mort-volontaire prononce à votre oreille, le mot qui persuade. Vous êtes au plus mal. Ce n’est plus pour vous qu’une question d’heures, vous venez de me le déclarer nettement ; l’issue de la crise n’est donc même plus douteuse. Si vous franchissez ce seuil, c’est bien la mort : elle transparaît, imminente, de toute votre personne.

Lord Ewald, du bout de son petit doigt, secoua, sans répondre, la cendre de son cigare.

― Ici, je vous offre la vie encore, ― mais à quel prix, peut-être ! Qui pourrait l’évaluer en cet instant ? ― L’Idéal vous a menti ? La « Vérité » vous a détruit le désir ? Une femme vous a glacé les sens ? ― Adieu donc à la prétendue Réalité, l’antique dupeuse !

Je vous offre, moi, de tenter l’Artificiel et ses incitations nouvelles !… Mais, ― si vous n’alliez pas en rester le dominateur !… ― Tenez, mon cher lord,