Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/210

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L’électricien semblait plongé dans une extase d’amoureux : l’on eût dit qu’il s’attendrissait lui-même.

― Oui, certes ! dit lord Ewald : plaisantez la Nature si bon vous semble : cette jolie personne danse mieux, il est vrai, qu’elle ne chante ; cependant je conçois, devant tant de charmes, que, si le plaisir sensuel suffisait au cœur de votre ami, cette jeune femme lui ait paru des plus aimables.

― Ah ? dit Edison rêveur, avec une intonation étrange et en regardant lord Ewald.

Il se dirigea vers la tenture, fit glisser la coulisse du cordon de la lampe ; le ruban d’étoffe aux verres teintés surmonta le réflecteur. L’image vivante disparut. Une seconde bande héliochromique se tendit, au-dessous de la première, d’une façon instantanée, commença de glisser devant la lampe avec la rapidité de l’éclair, et le réflecteur envoya dans le cadre l’apparition d’un petit être exsangue, vaguement féminin, aux membres rabougris, aux joues creuses, à la bouche édentée et presque sans lèvres, au crâne à peu près chauve, aux yeux ternes et en vrille, aux paupières flasques, à la personne ridée, toute maigre et sombre.

Et la voix avinée chantait un couplet obscène, et tout cela dansait, comme l’image précédente, avec le même tambour de basque et les mêmes castagnettes.

― Et… maintenant ? dit Edison en souriant.

― Qu’est-ce que cette sorcière ? demanda lord Ewald.

― Mais, dit tranquillement Edison, c’est la même : seulement c’est la vraie. C’est celle qu’il y